Clos de la Chapelle Saint-Urbain, l’immanence du terroir
Posé comme un défi sur les pentes du Rangen de Thann, le Clos de la Chapelle Saint-Urbain déroule ses terrasses marquées par les fusions obscures d’une géologie tourmentée. Des contrées abruptes où le ciel et la terre s’embrassent. Un monde ordonné au gré de la lumière et de l’ombre, du soleil et du vent. Le jardin en équilibre d’Eugène Schnebelen. (Texte de Lucie D'Incau)
Un vertige de vignes, accrochées dans l’azur, jaillit sans préavis de l’horizon. Parti à l’assaut de la montagne, le Grand Cru Rangen connaît des variations selon les caprices du relief. Élévations abruptes à forte inclinaison. Avec 470 mètres de dénivelé, des pentes à plus de 50 degrés, le plus septentrional des vignobles d’Alsace se mérite, et les vendanges se font en rappel. Un terroir de « viticulture héroïque ». Un terroir volcanique qui impose son caractère de feu. On retrouve la violence d’une topographie extrême dans la géologie du coteau. C’est dans ce piémont des Vosges, sur le ban de Thann, que le Clos de la Chapelle Saint-Urbain étend ses 0,62 hectare. Un petit bout de vignoble rêvé. Le petit bout de terre où Eugène Schnebelen a appris à goûter la beauté. La beauté d’une lande sauvage, capturée dans une baie de mûre, un simple coin de ronces, mélange d’épines et de fruits. Et dans la vigne familiale que son père s’est entêté à conserver.
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Ce sont ces parcelles difficiles, ces vins vibrants, une passion pour ces lianes, de l’énergie et de la détermination, que nous offre son regard d’enfant. La vigne de sa vie ! Pour exprimer la beauté de la nature, Eugène est parti étudier à la Sorbonne, puis est revenu, sûr de ce qu’il voulait. « Défricher » un monde nouveau. C’est ce qu’il fait, en 1986. Haut perchées, les restanques, remises en culture, structurent le paysage, tournées vers le sud. Image d’un patrimoine bâti et culturel, symbole social, « la cabane des Bangards », dressée entre les règes, veille sur les vignes, en secret. Au cœur des sols : la face cachée de la Terre. Des laves, tufs et cendres, sédimentées sous la mer. Les brèches et grauwackes apparues il y a 350 millions d’années (Ma), lors de l’affaissement du Fossé rhénan. Un substrat complexe et pauvre, où riesling et pinot gris trouvent leur équilibre. Les racines ont su coloniser les fissures profondes pour y puiser une richesse hydrique et minérale. La roche sombre capter la réverbération du soleil qui apporte aux cépages une énergie de lumière et de chaleur. Les brumes automnales, portées par la rivière Thur, favorisant le développement de la moisissure miracle sur les grains. Botrytisation et concentration intense transforment les raisins en vin d’or. On a alors un vin qui est un lieu, une œuvre. Un vin vivant, soumis au temps.
D’or et de lumière
De ses investigations, Eugène a tiré une certitude. Les grands crus puisent leurs arômes dans le sous-sol où les vignes plongent leurs racines. Lorsqu’on porte aux lèvres un verre de ses vins, c’est bien tout l’arôme d’une mer disparue, d’une pâte de sédiments, de roches éruptives, qui se rappelle à notre souvenir. La viticulture témoigne des transformations minérales, en garde la trace. Comme si la simple attention portée à ces quelques cailloux, un peu d’argile, pouvait recaler le vigneron dans les énergies de la Terre. Apparaît alors l’image tellurique de ses vins.
L’étiquette du Clos de la Chapelle Saint-Urbain arbore son blason, puise dans les armes de Thann trois bandes horizontales aux couleurs de l’Autriche, rouge, blanc, rouge, et champ d’azur qui se charge d’une grappe et faucille, pour rendre au quartier Kattenbach sa vocation viticole. L’abstraction graphique établit un lien entre le vin, le consommateur et le territoire de « création ». La grappe qui vient de la vigne est l’élément clé d’un vin originel. « Riesling Vieilles Vignes » ou la sublime complexité d’un vin fin, pur et minéral, construit sur la notion de fraîcheur. Un vin sec aux arômes affolants de fruits tropicaux, et plus légèrement d’agrumes, de miel, de lys et de fleur de pêcher, avec quelque chose d’insaisissable ; cette touche fumée comme la pierre à fusil ou le silex frotté.
Eugène a fait le choix de reconvertir 20 ares de gewurztraminer en riesling. Un matériel végétal unique, capable de révéler le potentiel incroyable des vieux ceps « surgreffés ». La sensibilité du vignoble traduit à sa façon les impressions que lui a laissé la saison. Divinement fruité, acidulé, le pinot gris procure tous les enchantements. C’est la fécondité du soleil, le vent et l’humide de l’air qui a permis d’obtenir la maturité et l’extraordinaire concentration de parfums. Comment ne pas être saisi par la poésie de ce blanc détonant, élevé sur lies fines dans les foudres de la Cave des Hospices de Strasbourg. On est passé dans l’univers d’un vin à l’esprit sec, qui allie la douceur et une acidité en filigrane, avec des notes de sous-bois, mousse, champignon, abricot sec, pain d’épices. Les petites grappes bleu-gris nous renvoient aux lumineuses collines du Rangen où l’on se sent en communion avec la terre et les vignes sous la protection de la chapelle Saint-Urbain.
L. d’I.